L’Empathie : Comprendre Son Importance et Son Impact

L’empathie est une précieuse ressource morale et sociale. Elle nous aide à forger des amitiés, à prendre soin des plus démunis et à faire preuve de compassion. Mais que se passe-t-il dans nos cerveaux lorsque nous ressentons de l’empathie ? Les neurosciences peuvent-elles nous éclairer sur les raisons pour lesquelles nous nous soucions des autres ?

Personne étreignant une autre personne avec compassion.

Le 13 septembre 1848, un accident tragique sur un chantier ferroviaire a propulsé une tige de fer dans le crâne de Phineas Gage, un contremaître de 25 ans. Étonnamment, il a survécu et a continué à vivre pendant 12 années supplémentaires, mais l’accident a radicalement changé sa personnalité, le transformant en une personne grossière et inconsidérée.

Le médecin de Gage a décrit ces changements comportementaux en ces termes : « Il est agité, irrévérencieux, se livrant parfois au plus grossier blasphème (ce qui n’était pas sa coutume), manifestant peu de déférence pour ses semblables, impatient lorsqu’il est en conflit avec ses désirs. »

« À cet égard, son esprit a été radicalement changé, si décidément que ses amis et connaissances ont dit qu’il n’était plus Gage », a ajouté le médecin.

Bien que le terme « empathie » n’ait été inventé que 60 ans plus tard, cet accident a révélé aux scientifiques que la capacité à partager les sentiments d’autrui repose sur des bases neurologiques profondes.

Dans son ouvrage, Simon Baron-Cohen, professeur de psychologie du développement à l’Université de Cambridge, explique comment les neurosciences modernes éclaire ce cas du XIXe siècle.

Plus d’un siècle plus tard, grâce à des machines d’IRM fonctionnelle, les chercheurs ont découvert que la barre de fer avait pénétré dans une zone du cerveau appelée cortex préfrontal ventromédian (vMPFC).

Comme l’explique le professeur Baron-Cohen, cette région fait partie d’un circuit neuronal impliqué dans la création de l’empathie. En blessant un élément clé de ce circuit, l’accident a privé Gage de sa capacité à ressentir de l’empathie.

Alors, les neurosciences peuvent-elles expliquer pourquoi certains d’entre nous sont plus attentifs aux autres, alors que d’autres ne le sont pas ? Si oui, comment cela fonctionne-t-il ? Explorons certaines des autres régions cérébrales qui influencent notre capacité d’empathie.

Le circuit du cerveau de l’empathie

Cerveau de Phineas Gage avec des zones d'empathie mises en évidence.

Dans son livre, le professeur Baron-Cohen nous introduit aux différents circuits cérébraux impliqués dans l’empathie. Il existe un consensus neuroscientifique selon lequel l’empathie se manifeste dans au moins 10 zones du cerveau, et d’autres pourraient encore être découvertes.

Les technologies modernes de balayage cérébral ont révélé que plusieurs de ces zones s’activent non seulement lorsque nous éprouvons des émotions, mais aussi lorsque nous observons d’autres en vivre. Le premier « arrêt » sur ce circuit est le cortex préfrontal médial (MPFC), notre « centre social ».

Le professeur Baron-Cohen explique que le MPFC dorsal est impliqué dans la réflexion sur les pensées et les sentiments, tant les nôtres que ceux des autres. En revanche, le MPFC ventral semble être plus actif lorsque nous nous concentrons sur nous-mêmes plutôt que sur autrui.

Le vMPFC peut également jouer d’autres rôles. Antonio Damasio, neurologue à l’Université de l’Iowa, suggère que cette région agit comme une banque émotionnelle, attachant et stockant des émotions à certaines actions. Par exemple, face à des images violentes, le vMPFC s’active, entraînant des réponses physiologiques comme une augmentation du rythme cardiaque. Damasio a démontré que les patients ayant des lésions dans cette région réagissent différemment à de telles images.

Le vMPFC chevauche le cortex orbitofrontal. Le professeur Baron-Cohen a été le premier à montrer que les patients ayant subi des lésions dans cette région éprouvent des difficultés à reconnaître les faux pas sociaux, à l’instar de Phineas Gage.

Le circuit d’empathie se prolonge vers le gyrus frontal inférieur (IFG). Des études ont démontré que les lésions dans cette zone compliquent la reconnaissance des émotions sur les visages. De plus, une corrélation positive a été établie entre un score élevé sur l’échelle d’empathie et l’activité de l’IFG lors de l’observation d’expressions émotionnelles.

L’amygdale, une autre région clé, joue également un rôle dans la reconnaissance des expressions faciales. Partie intégrante de notre système limbique, elle est essentielle à l’apprentissage émotionnel, et des cas neurologiques ont montré que des lésions à cette zone peuvent altérer la capacité à reconnaître des expressions de peur.

L’IRM fonctionnelle a également mis en évidence que les neurones du cortex cingulaire antérieur caudal (cACC) « s’illuminent » lorsque nous éprouvons de la douleur, ainsi que lorsque nous observons quelqu’un souffrir. L’insula antérieure est également activée dans des contextes similaires.

Ces deux régions nous permettent de nous mettre à la place de l’autre, ou, comme le dit le Dr John Lewis dans la vidéo ci-dessous, de « modéliser » la douleur d’autrui dans notre esprit.

La bonne jonction temporo-pariétale (RTPJ), explique le professeur Baron-Cohen, est profondément impliquée dans ce que les philosophes appellent « la théorie de l’esprit », c’est-à-dire l’attribution d’intentions à autrui. Fait intéressant, certaines expériences ont démontré que des lésions dans cette région peuvent engendrer la sensation troublante que quelqu’un est présent dans la pièce alors qu’il ne l’est pas.

À proximité du RTPJ se trouve le sillon temporal supérieur postérieur, qui permet de suivre la direction du regard des autres. Le cortex somatosensoriel est également crucial pour l’empathie. Il s’active lorsque nous observons quelqu’un souffrir physiquement, mais également lorsque nous vivons une expérience tactile.

Enfin, notre capacité empathique serait compromise sans notre réseau de « neurones miroirs ». Ceux-ci, comprenant l’IFG et l’opercule frontal (situé juste au-dessus de l’IFG), se connectent au lobule pariétal inférieur (IPL) et au sillon pariétal inférieur (situé derrière l’IPL). Ces neurones s’activent lorsque nous imitons les actions d’autrui, entraînant des phénomènes tels que l’effet caméléon ou la contagion émotionnelle.

Découvertes récentes et énigmes non résolues

Des découvertes récentes enrichissent notre compréhension des mécanismes cérébraux qui expliquent pourquoi nous nous soucions des autres. Par exemple, une étude récente a révélé que l’ACC joue un rôle clé dans le circuit de l’empathie, s’activant particulièrement lorsque les gens « apprennent » à réaliser des actes généreux.

Une autre étude a montré que le gyrus supramarginal droit aide à modérer notre égoïsme, nous permettant de dissocier nos propres intérêts de ceux des autres, et ainsi de partager la tristesse d’autrui même quand nous sommes heureux.

Nous avons beaucoup discuté des zones cérébrales régulant l’empathie, mais les hormones jouent également un rôle. Dans une étude récente, les scientifiques ont découvert que l’ocytocine – souvent appelée « hormone de l’amour » – est cruciale pour notre capacité empathique.

Malgré tous ces progrès, de nombreuses questions demeurent. Le professeur Baron-Cohen souligne : « Si vous avez deux jumeaux identiques élevés dans le même environnement, pourquoi l’un d’entre eux aurait-il plus d’empathie que l’autre ? »

« Cela pourrait être dû à des différences dans leur expérience sociale, y compris la manière dont les parents traitent chaque jumeau, ou il pourrait s’agir de facteurs épigénétiques. »

« Nous connaissons encore très peu de différences individuelles en matière d’empathie. Nous aurons besoin de recherches expérimentales approfondies pour résoudre ces énigmes. »

Simon Baron-Cohen

Que pouvons-nous faire pour améliorer notre empathie ?

L’histoire nous enseigne que le manque d’empathie envers ceux qui sont différents de nous peut mener à des conflits violents et même à des atrocités. Cela a conduit le professeur Baron-Cohen à qualifier l’empathie, dans la vidéo ci-dessous, de « notre ressource la plus précieuse pour la résolution des conflits ».

Bien que « l’érosion de l’empathie » puisse amener certains à traiter autrui de manière cruelle, la bonne nouvelle est que l’empathie peut s’apprendre. Une étude récente révèle que quelques interactions avec des membres d’un groupe perçu comme « étranger » peuvent déclencher un « effet d’apprentissage » dans le cerveau, augmentant ainsi notre réponse empathique envers ceux qui nous semblent différents.

Quelles autres actions concrètes pouvons-nous entreprendre pour développer notre empathie ? D’une part, la lecture de romans pourrait être bénéfique ; une étude récente suggère que la lecture de fiction stimule notre imagination à des niveaux mesurables par IRMf, et les lecteurs réguliers de fiction obtiennent de meilleurs résultats aux tests d’empathie.

Concernant les moyens d’améliorer notre empathie, le professeur Baron-Cohen propose d’intégrer des leçons d’empathie dans les programmes scolaires. Il affirme : « Les programmes scolaires n’incluent généralement pas d’enseignements sur l’empathie, mais cela pourrait être envisagé. »

« Un exemple en Israël et en Palestine est la remarquable organisation Hand in Hand, où les enfants apprennent qu’il existe d’autres perspectives que la leur, que l’« ennemi » est en réalité une personne avec des sentiments, et que même en désaccord, nous pouvons aborder la situation avec douceur et respect. »

Simon Baron-Cohen

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