Après une intervention chirurgicale, les opioïdes – tels que la morphine – sont fréquemment utilisés pour gérer la douleur. Cependant, des recherches récentes soulignent que ces médicaments pourraient en réalité accroître le risque de douleur chronique.
Les opioïdes sont au cœur de l’actualité. L’épidémie d’opioïdes aux États-Unis a des répercussions tragiques à travers le pays.
En effet, plus de 100 décès par surdose d’opioïdes surviennent chaque jour aux États-Unis.
Malgré les dangers liés à la dépendance, une question persiste : l’efficacité des opioïdes pour soulager la douleur a-t-elle été remise en question ? Utilisés depuis des millénaires, ces médicaments sont réputés pour leur capacité à soulager rapidement la douleur, offrant un confort immédiat aux patients. Cependant, une étude récente menée à l’Université du Colorado Boulder remet en cause cette croyance bien ancrée.
Linda Watkins, l’une des chercheuses principales au Département de psychologie et de neurosciences, a fait une déclaration troublante : «[…] il existe un autre côté obscur des opiacés que beaucoup ignorent.
Il ne s’agit pas ici d’un simple effet secondaire, mais d’une réalité alarmante : les opioïdes peuvent en fait prolonger la douleur après une opération chirurgicale. Les résultats de cette étude ont été récemment publiés dans une revue scientifique.
Étude sur la douleur postopératoire et l’usage des opioïdes
Pour cette recherche, le professeur Watkins, accompagné de Peter Grace du MD Anderson Cancer Center à Houston, TX, a réalisé des laparotomies sur des souris mâles. Cette opération consiste à inciser la paroi abdominale pour accéder à l’intérieur de l’abdomen, une intervention pratiquée sur des dizaines de milliers de patients aux États-Unis chaque année.
« Les opiacés sont indéniablement efficaces pour soulager la douleur aiguë. Aucun autre médicament ne rivalise en termes d’efficacité. Pourtant, peu d’études ont examiné leurs effets à long terme après leur sevrage. »
Peter Grace
Après la chirurgie, un groupe de souris a reçu une dose modérée de morphine pendant les 7 jours suivants, tandis qu’un autre groupe a été traité avec de la morphine pendant 8 jours, avec une réduction progressive de la posologie au 10ème jour.
Un troisième groupe a reçu de la morphine pendant 10 jours, suivie d’un arrêt brutal du traitement. Enfin, un groupe témoin a reçu des injections de solution saline à la place de la morphine.
Dans une autre expérience, un groupe de souris a bénéficié d’un traitement à la morphine de 7 jours, terminé une semaine avant l’intervention chirurgicale.
Avant et après le traitement, la sensibilité au toucher des souris a été mesurée, tout comme l’activité des gènes liés à l’inflammation dans la moelle épinière.
Comparativement aux souris ayant reçu une solution saline, celles traitées par morphine ont souffert de douleurs postopératoires pendant plus de 3 semaines supplémentaires. De plus, une corrélation a été observée : plus la morphine était administrée longtemps, plus la douleur perdurait.
L’étude a aussi démontré que réduire le dosage de morphine n’avait pas d’effet bénéfique. Comme l’explique Grace, «cela indique que ce phénomène n’est pas simplement le résultat du sevrage aux opioïdes, qui, nous le savons, peut engendrer de la douleur, mais plutôt qu’il se passe quelque chose de plus complexe ici.
La morphine et l’augmentation de la douleur postopératoire : explications
La question suivante qui se pose est : qu’est-ce qui explique cet effet contre-intuitif ? Le professeur Watkins évoque un «coup double» sur les cellules gliales.
Dans notre cerveau, les cellules gliales sont plus nombreuses que les neurones. Elles protègent et soutiennent les cellules nerveuses et, dans leur rôle protecteur, régulent la réponse immunitaire, y compris l’inflammation.
Le premier « coup » survient lorsque la chirurgie active le récepteur toll-like 4 des cellules gliales (TLR4). Ces récepteurs, décrits par le professeur Watkins comme «pas moi, pas juste, pas O.K.», orchestrent la réponse inflammatoire. Ce premier coup les prépare à agir lorsque le second coup se manifeste.
Le deuxième coup est l’administration de morphine, qui stimule également TLR4. Comme le précise le professeur Watkins :
« Avec ce second coup, les cellules gliales déjà activées réagissent plus rapidement, plus intensément et plus longtemps qu’auparavant, créant ainsi un état d’inflammation plus persistant et parfois des lésions tissulaires locales. »
Bien que cette étude ait été réalisée sur un modèle animal et nécessite des validations chez l’homme, elle est cohérente avec des recherches antérieures.
En 2016, les mêmes chercheurs ont publié une étude similaire montrant que quelques jours de traitement aux opioïdes pour une douleur nerveuse périphérique aggravaient et prolongeaient la douleur, avec l’activation des voies inflammatoires également impliquée.
« Un nombre alarmant de personnes se retrouvent avec une douleur chronique après une chirurgie », déclare le professeur Watkins. En réalité, des millions d’Américains souffrent de douleurs chroniques. « Cette nouvelle étude offre une perspective précieuse pour comprendre ce phénomène. »
Il est intéressant de noter que les souris ayant reçu une cure de morphine terminée une semaine avant la chirurgie n’ont pas présenté de douleurs postopératoires prolongées. Cela a conduit les chercheurs à conclure qu’il existe une fenêtre critique pour la potentialisation de la douleur.
Étant donné que les opioïdes sont actuellement considérés comme la meilleure option pour traiter la douleur postopératoire, si ces résultats se confirment chez l’homme, cela pose un défi majeur pour la médecine.
C’est pourquoi le professeur Watkins consacre une grande partie de ses efforts à développer des médicaments qui pourraient être administrés simultanément aux opioïdes pour atténuer la réponse inflammatoire. Elle explore également d’autres analgésiques, comme les cannabinoïdes.
Perspectives et recherches futures
À la lumière de ces résultats, il est urgent de réévaluer notre approche de la gestion de la douleur postopératoire. Les chercheurs s’efforcent de comprendre comment équilibrer efficacement le soulagement de la douleur tout en minimisant les risques de complications à long terme. Des études supplémentaires sont nécessaires pour explorer les mécanismes sous-jacents à ces observations et pour évaluer l’efficacité d’alternatives aux opioïdes dans la gestion de la douleur. Cela pourrait ouvrir la voie à de nouvelles stratégies thérapeutiques, offrant ainsi un meilleur avenir aux patients souffrant de douleurs chroniques post-opératoires.