Les patients qui ont été ventilés mécaniquement dans les unités de soins intensifs sont connus depuis longtemps pour souffrir d’une forme de déficience mentale en conséquence. Maintenant, des chercheurs ont mis en lumière un mécanisme moléculaire qui pourrait expliquer cette problématique.
Cette étude, publiée dans une revue scientifique de renom, a été menée par une équipe de l’Université d’Oviedo en Espagne, de l’Hôpital St. Michael’s au Canada, et de la Perelman School of Medicine à l’Université de Pennsylvanie.
Les chercheurs rapportent qu’au moins 30 % des patients en unités de soins intensifs (USI) souffrent d’une forme de dysfonctionnement mental, notamment de l’anxiété, de la dépression, et surtout, du délire. Ils soulignent que l’incidence du délire chez les patients sous ventilation mécanique atteint environ 80 %.
Il a été émis l’hypothèse que cela pourrait découler, en partie, de dommages au niveau de l’hippocampe, mais le mécanisme par lequel la ventilation engendre ces lésions restait flou.
La dopamine comme facteur d’apoptose
Les chercheurs ont identifié un mécanisme moléculaire qui pourrait expliquer pourquoi certains patients ventilés mécaniquement en soins intensifs développent des troubles mentaux.
Pour mener leur étude, l’équipe a analysé les cerveaux de souris ayant été soumises à une ventilation basse ou haute pression pendant 90 minutes, en les comparant à ceux de souris témoins qui n’avaient pas été ventilées.
Les résultats ont révélé que les souris sous ventilation présentaient des signes de mort cellulaire neuronale dans l’hippocampe, conséquence d’apoptose – un processus de mort cellulaire programmée (PCD).
L’équipe de recherche a découvert que l’apoptose était provoquée par la suppression induite par la dopamine de l’Akt, une molécule qui prévient habituellement l’apoptose neuronale.
Les souris ventilées ont montré une suppression d’Akt clairement observable dans l’hippocampe, associée à des niveaux accrus de dopamine (hyperdopaminergique) dans cette région du cerveau. De plus, ces souris ont présenté une expression accrue des gènes de la tyrosine hydroxylase, une enzyme clé dans la synthèse de la dopamine.
Cette augmentation de dopamine, selon les chercheurs, amplifie l’activation du récepteur de dopamine dans l’hippocampe.
Pour valider ces résultats, les chercheurs ont injecté des bloqueurs des récepteurs de la dopamine de type 2 (D2) dans les ventricules cérébraux d’un groupe de souris, ce qui a notablement réduit l’apoptose induite par la ventilation dans l’hippocampe.
Dysbindin-1 : un protecteur potentiel contre l’apoptose
Les chercheurs se sont ensuite penchés sur les effets de la ventilation et des niveaux élevés de dopamine dans l’hippocampe sur la dysbindine-1, une protéine influençant les niveaux de récepteurs D2 à la surface cellulaire, ainsi que la cognition et potentiellement le risque de psychose.
Les résultats ont montré que les souris ayant subi une ventilation à haute pression avaient une expression génétique accrue de la dysbindine-1C. Par la suite, elles ont également montré une expression augmentée des gènes associés aux niveaux de protéines de dysbindin-1C.
La dopamine elle-même a présenté des effets similaires sur la dysbindine-1C lors de l’analyse des tranches d’hippocampe, et ces effets ont été inhibés par les récepteurs D2.
Les chercheurs suggèrent que la dysbindine-1, capable de diminuer les récepteurs D2 à la surface des cellules et de protéger contre l’apoptose, pourrait entraîner une réponse compensatoire à l’apoptose hippocampique induite par la ventilation chez les souris ventilées.
Ils soulignent que cela pourrait également s’appliquer aux patients en soins intensifs, étant donné qu’une étude complémentaire a révélé une augmentation de la dysbindine-1 dans les neurones hippocampiques des humains ventilés décédés, contrairement à ceux non ventilés.
Nouveaux médicaments en perspective
Les chercheurs estiment que ces découvertes pourraient ouvrir la voie à de nouvelles applications pour des médicaments déjà existants, ainsi qu’à la création de nouveaux traitements capables d’activer des voies moléculaires visant à atténuer les effets néfastes sur la fonction cérébrale liés à la ventilation en soins intensifs.
Le Dr Konrad Talbot, professeur adjoint de recherche en neurobiologie au département de psychiatrie de Penn Medicine, déclare :
« Cette étude souligne l’importance de réévaluer l’utilisation des antagonistes des récepteurs D2 pour minimiser les impacts cognitifs négatifs de la ventilation mécanique chez les patients en réanimation et d’explorer la possibilité qu’une augmentation de l’expression de la dysbindine-1C puisse également atténuer ces effets. »
Perspectives de recherche actuelle
En 2024, il est essentiel de continuer à explorer ces mécanismes. De nouvelles études s’orientent vers des stratégies d’intervention préventive pour réduire les risques de dysfonctionnement cognitif après une ventilation mécanique. Cela inclut l’évaluation de traitements ciblant les voies de signalisation de la dopamine et la modulation de l’expression de la dysbindine-1.
Des essais cliniques sont également en cours pour examiner l’efficacité des antagonistes D2 dans le contexte des soins intensifs. Ces avancées pourraient transformer notre approche de la réhabilitation cognitive post-ventilation, offrant ainsi un meilleur soutien aux patients vulnérables.