Donner une dose d’adrénaline pré-hospitalière, connue sous le nom d’épinéphrine, à une personne en arrêt cardiaque peut effectivement aider à rétablir la circulation à court terme. Cependant, cela pourrait avoir des conséquences néfastes à long terme, selon une étude japonaise majeure publiée dans le JAMA. Cette recherche soulève la question : est-il possible de sauver le cœur au détriment du cerveau ?
Lorsqu’une personne subit un arrêt cardiaque, son cœur cesse de pomper le sang. Sans réanimation cardiorespiratoire (RCR) dans les minutes qui suivent, les chances de survie sont très limitées. Lorsqu’une équipe de secours arrive sur les lieux, elle administre parfois de l’épinéphrine pour tenter de relancer le cœur avant de transporter le patient à l’hôpital.
Les chercheurs, dirigés par le Dr Akihito Hagihara du Département des politiques et de la gestion des services de santé à l’Université de Kyushu, soulignent que l’efficacité de l’épinéphrine administrée avant l’arrivée à l’hôpital n’a pas été clairement établie.
Pour l’étude, ils ont analysé des données recueillies au Japon entre 2005 et 2008, portant sur 417 188 adultes de 18 ans et plus ayant subi un arrêt cardiaque hors de l’hôpital. Tous avaient été pris en charge par les services d’urgence et transportés à l’hôpital.
Les chercheurs ont évalué la relation entre l’administration d’épinéphrine avant l’hôpital et plusieurs résultats : le retour de la circulation avant d’atteindre l’hôpital, la survie un mois après l’arrêt cardiaque, ainsi que la survie avec ou sans lésions cérébrales ou problèmes neurologiques.
Ils ont découvert que, bien que l’épinéphrine soit associée à une plus grande probabilité de rétablissement de la circulation, les patients étaient également plus susceptibles de mourir ou de subir des lésions cérébrales dans le mois suivant l’événement.
Les lésions cérébrales peuvent survenir à la suite d’un manque de sang dans le cerveau après un arrêt cardiaque. Les données ont révélé que la circulation revenait chez 18,5 % des patients ayant reçu de l’épinéphrine, contre seulement 5,7 % chez ceux qui n’en avaient pas reçu.
Cependant, les chances de survie un mois après l’arrêt cardiaque étaient significativement plus faibles de 54 % (odds ratio ajusté : 0,46) pour les patients ayant reçu de l’épinéphrine, qui avaient également 68 % de chances en moins de survivre sans dommages cérébraux ou neurologiques.
Ces résultats sont restés significatifs même après avoir pris en compte d’autres facteurs influents, tels que la RCR pratiquée par un témoin ou un ambulancier, la durée de la RCR et d’autres différences entre les patients.
Les chercheurs concluent que l’usage de l’épinéphrine préhospitalière au Japon est lié à une augmentation du risque de retour de circulation spontanée avant l’hôpital, mais à une diminution des chances de survie et de résultats fonctionnels favorables un mois après l’incident.
Dans un éditorial d’accompagnement, le Dr Clifton Callaway de l’Université de Pittsburgh aborde les preuves concernant l’épinéphrine durant la RCR. Il fait remarquer que les patients sont souvent plus préoccupés par leur retour à la maison que par la nécessité d’avoir un cœur qui bat.
Bien qu’une dose d’épinéphrine puisse améliorer les chances de redémarrer le cœur, il est tout aussi préoccupant que cela puisse nuire à d’autres organes, souligne-t-il.
Les chercheurs notent certaines limites dans leur étude. Par exemple, ils ne peuvent pas prendre en compte les différences de traitement en milieu hospitalier, comme si les patients qui n’ont pas reçu d’épinéphrine avant leur arrivée en reçoivent à l’hôpital.
De plus, en raison des disparités entre les pratiques au Japon et ailleurs, il reste incertain dans quelle mesure ces conclusions peuvent être généralisées à d’autres pays. Par exemple, au Japon, il est courant d’administrer une seule dose d’épinéphrine, tandis qu’aux États-Unis, les protocoles prévoient souvent des doses répétées jusqu’à ce que le cœur redémarre.
Néanmoins, Callaway indique que ces résultats justifient des investigations plus approfondies. Une étude pourrait, par exemple, attribuer au hasard des patients cardiaques à recevoir ou non de l’épinéphrine, puis les suivre pour évaluer les résultats à long terme.
### Perspectives Actuelles sur l’Épinéphrine en RCR
Les recherches récentes soulignent l’importance de réévaluer les protocoles de réanimation. En 2023, des études ont mis en évidence le fait que la sélectivité dans l’utilisation de l’épinéphrine pourrait améliorer les résultats. Par exemple, des travaux récents ont montré que l’administration d’épinéphrine en fonction du type d’arrêt cardiaque (comme l’asystole ou la fibrillation ventriculaire) pourrait optimiser la survie à long terme. Des données préliminaires indiquent également que l’évaluation rapide des performances neurologiques pourrait orienter les décisions thérapeutiques.
De plus, les avancées technologiques, comme l’utilisation de dispositifs de RCR automatisés, pourraient jouer un rôle crucial dans l’amélioration des résultats des patients. L’intégration de systèmes d’alerte avancés pour les services d’urgence pourrait également contribuer à une prise en charge plus rapide et ciblée des patients en arrêt cardiaque, augmentant ainsi les chances de survie et minimisant les risques de complications neurologiques.
Enfin, la formation continue des professionnels de santé sur les meilleures pratiques en matière de RCR et d’utilisation de l’épinéphrine est essentielle pour améliorer les résultats des patients et réduire les risques associés à l’administration de cette médication critique.