Historiquement, la matière grise était généralement considérée comme le broyeur d’organes du cerveau, tandis que la matière blanche n’était qu’un simple auxiliaire. Cependant, au cours des dernières années, il est devenu évident que cette matière blanche est tout aussi cruciale que son homologue grise.
Notre matière grise délicieusement plissée a longtemps été le centre d’attention du cerveau; elle est souvent mise en avant pour son rôle dans le traitement des informations et la prise de décisions. On pensait que la matière blanche ne faisait que relayer les messages, comme un réseau passif de fils.
Cependant, cette vision réductrice ne rend pas justice à la matière blanche. À mesure que notre compréhension scientifique évolue, l’importance de la matière blanche devient de plus en plus évidente. Cette autoroute de l’information neurale est désormais reconnue pour son implication dans une variété de conditions et de maladies, et elle joue un rôle fondamental dans la fonction cérébrale, l’apprentissage et la coordination des diverses régions cérébrales.
Qu’est-ce que la matière blanche?
La matière blanche constitue la majeure partie des régions profondes du cerveau. Contrairement à la matière grise, qui atteint son pic de développement vers 11 ou 12 ans, la matière blanche continue de se développer jusqu’à la vingtaine, et peut même subir des modifications plus subtiles jusqu’à la cinquantaine.
Elle est composée de faisceaux d’axones, ou tracts, qui sont les projections longues et minces des cellules nerveuses. Comme son nom l’indique, la matière blanche est en effet plus claire que la matière grise, et sa couleur caractéristique est due à un revêtement cireux appelé myéline, qui entoure chacun des axones.
La myéline recouvre la surface de toutes les cellules nerveuses, laissant de petits espaces – appelés nœuds de Ranvier – à intervalles réguliers.
Dans les nerfs myélinisés, au lieu d’une impulsion se déplaçant le long de la cellule comme dans la matière grise, elle peut sauter de nœud en nœud, augmentant ainsi la vitesse de conduction.
En tant que principal service de messagerie du cerveau, la myélinisation permet à la matière blanche de transmettre des signaux entre des régions éloignées à une vitesse impressionnante.
En fait, les nerfs myélinisés peuvent transporter des impulsions jusqu’à 100 fois plus vite que les fibres non myélinisées.
Dans le cerveau, la myéline est produite par des cellules appelées oligodendrocytes. À la naissance, la couverture myélinique est relativement clairsemée; la myélinisation progresse en vagues, commençant par le cortex cérébral près de la nuque et avançant progressivement vers l’avant, atteignant finalement les lobes frontaux à la fin de la vingtaine.
Les lobes frontaux sont essentiels pour la planification, le raisonnement et le jugement. Certains scientifiques émettent l’hypothèse que la myélinisation limitée de ces zones chez les jeunes pourrait expliquer pourquoi les adolescents ont parfois du mal à prendre des décisions judicieuses.
À mesure que l’intérêt scientifique s’est intensifié pour la matière blanche, il est devenu clair qu’elle n’est pas un simple système de câblage passif; elle est dynamique, son volume fluctuant en fonction des expériences vécues, et elle joue un rôle actif dans le traitement des informations.
La matière blanche et la santé mentale
Certaines conditions ont longtemps été associées à des dommages à la gaine de myéline. Par exemple, dans des maladies comme le syndrome de Guillain-Barré et la sclérose en plaques, le système immunitaire attaque la myéline, provoquant une faiblesse progressive pouvant aboutir à la paralysie.
Plus récemment, des modifications de la myéline ont été liées à divers troubles psychiatriques, notamment la schizophrénie, la dépression majeure, l’autisme, le stress post-traumatique, la maladie d’Alzheimer, la dyslexie, le TDAH et le syndrome de Tourette. La matière blanche est même impliquée dans le bégaiement et la surdité.
L’une des pathologies psychiatriques les plus étudiées en lien avec la matière blanche est la schizophrénie. Une étude analysant 6000 gènes dans le cortex préfrontal de cerveaux schizophréniques a révélé des preuves solides : parmi les 89 gènes anormalement régulés, 35 étaient directement liés à la myélinisation.
D’autres recherches ont examiné la matière blanche post-mortem, mettant en évidence des anomalies dans les voies de la substance blanche et une diminution du nombre d’oligodendrocytes dans certaines régions cérébrales.
Plus récemment, il a été démontré que les voies de la matière blanche dans la majorité du cerveau sont perturbées chez les individus schizophrènes.
La schizophrénie se développe souvent durant l’adolescence, une période où le cerveau antérieur reçoit finalement son revêtement de myéline. Certains chercheurs pensent que cela pourrait être plus qu’une simple coïncidence.
Il reste à déterminer si ces changements sont la cause de la condition ou une conséquence d’une fonction cérébrale altérée, mais il est probable qu’il existe un lien bidirectionnel. Des études, comme celle publiée en 2007 par le Dr Gabriel Corfas, montrent que perturber le contrôle génétique des oligodendrocytes peut entraîner des changements comportementaux similaires à ceux observés dans la schizophrénie.
Imagerie de la matière blanche
Une technique d’imagerie appelée imagerie par tenseur de diffusion (DTI), qui utilise la technologie IRM, permet de visualiser le mouvement de l’eau dans les tissus cérébraux. Cette méthode est particulièrement utile pour observer la matière blanche.
La DTI repose sur le principe que, dans un tissu cérébral sain, l’eau a tendance à se déplacer dans n’importe quelle direction. Cependant, dans les zones orientées parallèlement et recouvertes de myéline, l’eau se déplace plus facilement le long des axones que d’un côté à l’autre.
Grâce à cette technologie, la microstructure de la matière blanche peut être visualisée ; des fibres plus denses avec des couches de myéline plus épaisses produisent des signaux DTI plus forts. Cette méthode relativement récente a été utilisée pour explorer les liens entre la structure de la matière blanche et les performances cognitives.
Une étude, par exemple, a établi un lien entre la structure de la matière blanche et le quotient intellectuel, concluant que « la fonction cognitive est corrélée à une plus grande organisation des fibres ». D’autres travaux ont également montré des corrélations entre la qualité de la matière blanche dans le cerveau d’adultes et leurs capacités de lecture.
Les chercheurs ont également démontré que l’utilisation spécifique du cerveau peut modifier la structure de la matière blanche. Par exemple, une expérience a révélé que la pratique régulière d’un instrument de musique augmente le niveau d’organisation de la matière blanche dans les zones cruciales pour la performance musicale, avec une corrélation directe entre le temps de pratique et les changements observés.
La myélinisation et son impact évolutif
Chez les animaux capables de marcher et de se nourrir rapidement après leur naissance, comme les chevaux et les souris, la myélinisation est presque complète à la naissance. En revanche, chez l’homme, la myélinisation se poursuit jusqu’à la vingtaine, voire la trentaine. Ce temps prolongé suggère que la myéline joue un rôle plus complexe qu’un simple isolant.
L’allongement de la période de myélinisation chez les humains coïncide avec une restructuration massive des connexions synaptiques dans le cortex cérébral. Ce remodelage est supposé adapter le cerveau en fonction des expériences vécues. Pour cette raison, certains chercheurs avancent que la myéline, et donc la matière blanche, pourrait influencer le développement cérébral en réponse aux expériences.
Cette théorie trouve un écho dans plusieurs études animales. Par exemple, une recherche sur les campagnols des prairies d’Alaska a montré que la myélinisation est régulée par des changements saisonniers de la durée du jour, avec une augmentation du volume de matière blanche chez les animaux exposés à des jours longs.
Chez les rats, le stress vécu pendant les six derniers jours de grossesse a conduit à une augmentation de la myélinisation chez les petits durant leurs premières semaines de vie, avant que les taux ne reviennent à la normale au 40e jour.
Inversement, un environnement enrichi, favorisant l’interaction sociale et le jeu, a également montré une augmentation du nombre d’oligodendrocytes dans le cortex visuel des rats.
Certaines études chez l’homme ont également révélé un lien entre l’expérience précoce et le volume de matière blanche. Une étude a comparé les cerveaux d’enfants victimes d’abus avec ceux d’enfants non abusés, trouvant que le corps calleux – la plus grande structure de matière blanche reliant les hémisphères cérébraux – était en moyenne 17 % plus petit chez les enfants abusés.
Pourquoi la myéline est-elle si cruciale?
En résumé, bien que la question ne trouve pas encore de réponse définitive, plusieurs pistes intéressantes émergent.
La synchronisation entre les neurones est essentielle pour le développement neuronal et l’apprentissage. Comme le dit le proverbe : « Les neurones qui tirent ensemble, se connectent ensemble. » En d’autres termes, les neurones qui s’activent simultanément sont plus susceptibles de former des connexions durables. Les circuits neuronaux qui fonctionnent en synergie sont renforcés et préservés.
Si deux neurones travaillant ensemble sont distants l’un de l’autre et identiques, les signaux n’arriveront pas simultanément ; pour synchroniser l’activité, l’un des axones doit être accéléré ou ralenti.
Cette précision temporelle est vitale.
Lorsqu’il s’agit d’effectuer des tâches complexes, comme jouer d’un instrument, les informations doivent circuler entre de nombreux centres cérébraux et dans les deux sens. La synchronisation est indispensable, et se contenter de transmettre des messages à la vitesse maximale ne suffirait pas.
À mesure que de nouvelles découvertes émergent, il devient évident que la myéline joue un rôle clé dans le développement de la synchronisation, influençant ainsi la vitesse de conduction de la matière blanche de diverses manières.
La myéline peut modifier physiquement le diamètre des axones (les nerfs plus larges transmettent les signaux plus rapidement). De plus, les oligodendrocytes peuvent ajuster le nombre de couches de myéline qu’ils produisent, pouvant atteindre jusqu’à 150 couches par fibre, ce qui modifie également la vitesse de conduction. Enfin, en ajustant le nombre ou l’espacement des nœuds de Ranvier, la vitesse des impulsions peut être influencée, des nœuds plus rapprochés ralentissant les signaux.
Nous commençons à peine à explorer comment la matière blanche influence la fonction cognitive, mais déjà, de nouvelles perspectives se dessinent.
La matière blanche est tout aussi essentielle que la matière grise pour la fonction cérébrale ; elle est dynamique, impliquée dans l’apprentissage et joue un rôle clé dans la formation de compétences et de souvenirs. Il ne fait aucun doute qu’à mesure que la recherche progresse et que notre compréhension s’affine, l’importance de la myéline et de la matière blanche continuera de croître.
La matière blanche a vraiment un rôle crucial à jouer.